Les grandes orgues de Notre-Dame de Paris

par | 21 Nov 2019 | Art et littérature, Articles, Patrimoine de Paris

« Si on perd l’orgue de Notre-Dame de Paris, on perd quelque chose d’exceptionnel ». Voici ce que disait Philippe Lefebvre, un des trois organistes titulaires, dans une interview récente à Ouest-France.

L’alchimie sonore qui fait de cet instrument un orgue unique au monde provient de ses 8000 tuyaux qui datent du XVIIème, XVIIIème, XIXème, XXème et XXIème siècles. Chacun des facteurs d’orgues ayant restauré et agrandi l’orgue a su préserver l’héritage de ses prédécesseurs.

« Le grand orgue n’a pas pris le feu ni l’eau, l’incendie a été maitrisé juste à temps » précisait Philippe Lefebvre. « L’orgue est recouvert d’une couche de poussière de plomb. On ne peut pas la retirer comme on ne peut pas accéder à l’orgue. La poussière a été analysée. Cette poussière est sèche et elle ne provoquerait pas d’altération des tuyaux. Mais il y a des interrogations sur l’évolution de cette poussière avec l’humidité. On attend de savoir s’il y a une solution ou pas, compte tenu des problèmes de sécurité, pour pouvoir démonter l’orgue. Si la poussière altère les tuyaux, c’est fini. Ce ne sera plus l’orgue de Notre-Dame, et si on le perd, on perd quelque chose d’exceptionnel ».

Les premiers instruments

1330 : Si l’orgue du buffet actuel a été inauguré en 1733, on note dans l’histoire de la cathédrale un premier instrument vers 1330 ; les comptes du chapitre mentionnent des cachets à un organiste dont l’instrument n’est pas dans le choeur puisqu’il faut une sonnette pour l’avertir lorsqu’il doit jouer. Il s’agit d’un orgue en « nid d’hirondelle ».
1730 : Une décision est prise de reconstruire l’orgue sur une tribune sous la rosace ouest dans un grand buffet neuf. Le facteur d’orgues François Thierry repense complètement l’instrument. La réception a lieu le 18 juillet 1733. L’instrument possède 47 jeux et douze soufflets qui seront actionnés par quatre hommes. Cinquante ans après, François-Henri Clicquot est sollicité pour des travaux et va agrandir l’orgue. Pendant la révolution, l’orgue fut employé pour des fêtes diverses, il n’eut à souffrir que des années d’abandon qui furent celles de la plupart des orgues de France. Il faut noter la destruction à la hache de quelques ornements du buffet qui rappelaient la monarchie.

Le grand orgue d’Artistide Cavaillé-Coll

1864 : En 1844 commencent les travaux de restauration de la cathédrale par Viollet-le-Duc. La poussière dans les tuyaux, la pluie et le vent amène le facteur Dallery à proposer des réparations qui seront refusées. Quand l’avancement de la restauration architecturale permit de commencer à prévoir celle de l’orgue, celui-ci ne pouvait même plus assurer sa mission d’accompagner les offices. Dallery, facteur d’orgues jugé passéiste, est évincé au profit d’Aristide Cavaillé-Coll le plus grand facteur d’orgues du XIXème. Il venait de construire le grand orgue de Sainte Clotilde et de Saint-Sulpice. Comme les travaux de la cathédrale absorbaient tous les crédits, Viollet-le-Duc commanda un instrument digne d’une cathédrale, mais sans luxe ni vaines recherches et en utilisant le plus possible de matériel existant. Cavaillé-Coll présentera le projet d’un « instrument de premier ordre à quatre claviers suffisant pour les dimensions de l’édifice ». Il fut choisi, les travaux commencèrent sur place en 1864. Le programme répondait aux limites imposées, la composition aux goûts du moment sans originalité marquée mais celle-ci allait rester sur le papier. Le démontage commença et, voyant les buffets vides, Viollet-le-Duc fut choqué par ce meuble Louis XV bâtardé de Louis XVI dans la cathédrale dont il venait « d’unifier » le style gothique. Cavaillé-Coll fut du modifier ses plans pour tenir compte d’une tribune nouvelle et de surface triplée vers l’avant. C’était tout bouleverser, mais Cavaillé-Coll n’en fut pas mécontent. Il s’évada alors du devis. Il avance le buffet au bord de la voûte en pierre pour gagner de la profondeur et disposer les plans sonores en étages. Ce plan fut mis à exécution mais, en secret, les déclarations d’avancement des travaux faisaient toujours référence au premier projet. Il fut révélé quand l’orgue fut joué à Noël, hors concours, dans le cadre de l’exposition universelle de 1867. En février 1868, sept organistes célèbres dont Franck, Saint-Saëns et Widor réceptionnaient l’instrument. La surprise à l’égard de la composition se changea vite en admiration. Seul le titulaire, Eugène Sergent, fut si peu curieux dans l’emploi des ressources de l’instrument que Cavaillé-Coll renonça à venir écouter son chef-d’oeuvre par la suite.
1904 : Cavaillé-Coll meurt en 1899, un relevage et quelques modifications sont effectuées par son successeur, Charles Mutin en 1904, quatre années après la nomination du nouveau titulaire, Louis Vierne, organiste et compositeur non-voyant qui marquera fortement la cathédrale pendant trente sept années et qui décèdera aux claviers de l’instrument lors d’un concert le 2 juin 1937.
1932 : un relevage est effectué et l’ordre des cinq claviers est modifié à la demande de Vierne.

Pierre Cochereau et l’orgue moderne

1963 : En 1955, à la nomination de Pierre Cochereau, une restauration s’imposait. Les transmissions mécaniques étaient dans un si piètre état qu’il fallait parler de reconstruction plutôt que de restauration. C’est donc une électrification qui fut décidée. La console en amphithéâtre des claviers de Cavaillé-Coll fut déposée et conservée, une nouvelle fut conçue équipée de combinaisons. Les travaux furent commencés par Jean Hermann qui décèdera en 1964, Robert Boisseau achèvera la reconstruction qui apportera un nombre d’ajouts à la demande de Cochereau, comme les chamades. A l’initiative de Pierre Cochereau et grâce à son rayonnement international, une audition d’orgue gratuite est alors donnée tous les dimanches après-midi avec les meilleurs organistes du monde entier. En 1972, Pierre Cochereau écrit au Ministre de la culture en lui exposant un grand projet pour l’orgue de Notre-Dame : réduire l’emprise de la tribune sur la nef car elle renvoie partiellement le son vers les voûtes ; rétablir le buffet de positif de dos supprimé par Viollet-le-Duc et dont les ébénisteries sont conservées à la cathédrale et installer un combinateur électronique. Pierre Cochereau décèdera en 1984 sans avoir vu son rêve aboutir.
1990 : Le clergé renouera avec une tradition interrompu à la Révolution et nommera sur concours en 1985 quatre titulaires : Yves Devernay (décédé en 1990), Olivier Latry, Philippe Lefebvre et Jean-Pierre Leguay. Une grande restauration est alors envisagée respectant l’instrument et poursuivant avec cohérence le développement des grandes orgues de Notre-Dame depuis le moyen-âge. Un appel d’offres est lancé en 1989. Les facteurs d’orgues Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux remportèrent le marché en associant avec deux autres confrères et une entreprise d’ingénierie informatique. Le dimanche 22 avril 1990, après l’audition d’orgue donnée par Philippe Lefebvre, l’orgue de Notre-Dame entrait dans un grand silence pour trente mois de travaux.

L’orgue du Jubilé

2011 & 2013 : Vingt années après, des travaux partiels de restauration et de modernisation étaient nécessaires. L’introduction de l’informatique en 1992 contraignait à remettre à niveau une telle technologie. Dès les années 2000, le système informatique commençait à connaitre de réels problèmes de fiabilité, mais ce n’était que l’un des aspects justifiants une grande campagne de travaux. La perspective du Jubilé des 850 ans de la cathédrale en 2013 apparaissait comme une échéance pour la réalisation des travaux : les tuyaux de façade présentaient de graves signes d’affaissement, l’orgue présentait un niveau important d’empoussièrement, d’où une perte de la qualité de l’accord et de l’émission sonore, etc. Pour des questions de calendrier et de financement, il fut décidé de scinder les travaux en deux tranches, l’une avant le Jubilé, l’autre à l’issue de celui-ci. Les travaux furent confiés au groupement des deux ateliers de Bertrand Cattiaux et de Pascal Quoirin. Le grand orgue de Notre-Dame était inauguré par ses organistes titulaires le 20 septembre 2014.
2016 : Suite au départ en retraite de Jean-Pierre Leguay, Vincent Dubois était nommé organiste titulaire sur concours.
2019 : Le 15 avril 2019, l’incendie qui ravageait la toiture de Notre-Dame plongeait l’orgue le plus célèbre au monde dans un silence pour une durée indéterminée et rendait l’orgue de choeur inutilisable.

Une soufflerie de Rolls-Royce !

Pour terminer sur une anecdote : Avant l’ère de la fée « électricité », il fallait pomper pour obtenir le vent nécessaire. Dans les années 20, une anecdote est racontée par Marcel Dupré (1886-1971) alors qu’il suppléait Louis Vierne. Cela se passe un dimanche en présence d’un ami présent à la tribune : “Alors que je jouais, arrêt subit du vent ! L’organiste était à la merci de cinq souffleurs qui cessaient de pomper dès qu’ils étaient fatigués. « Que se passe-t-il ? » me dit mon visiteur. Je le lui expliquai. « Je vais les voir » répliqua-t-il et revint en disant « Je les ai récompensés, tout est en ordre ». Je pensais qu’il eût été plus sage d’attendre la fin du service pour manifester sa générosité et je me remis à jouer. Nouvel arrêt : « Cela ne peut pas durer, je vais offrir une soufflerie électrique à Notre-Dame. C’est ainsi que l’orgue de Notre-Dame eut sa première soufflerie électrique. Le visiteur n’était autre que Claude Johnson, Directeur de Rolls-Royce, grand amateur d’orgue et grand mécène.

A voir

Le documentaire d’arte de 52 mn de 2015 « Dans le ventre de l’orgue de Notre-Dame » : https://www.facebook.com/watch/?v=1386861174751998

Par Yves Rousseau
Initiateur du projet de construction de l’orgue de Vouvant

Evénements

Participez aux événements organisés par l’Association des Vendéens de Paris !

Parcourir nos événements >>

Journal

Créé en 1897, notre journal trimestriel annonce nos événements à Paris et en Vendée.

Découvrez-le !

Nos derniers articles